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La consommation d’alcool interdite sur la voie publique, une mesure contre les plus précaires ?

Nous republions cet article de Stuut.info concernant l’interdiction de la consommation d’alcool sur la voie publique. Il nous paraît intéressant parce qu’il illustre comment la répression de la consommation de drogues est avant tout un outil de ciblage de certains groupes sociaux avant d’être un outil de « santé publique ».

Depuis 2020, il est interdit de consommer de l’alcool sur la voie publique dans une partie du centre-ville de Bruxelles. Cette mesure, mise en place pour lutter contre la violence et les nuisances occasionnées par la consommation d’alcool, soulève des questions quant aux personnes qu’elle vise réellement : ne traduit-elle pas une volonté de cibler celleux qui n’ont simplement pas les moyens financiers de consommer de l’alcool dans les établissements Horeca ?

Cette mesure qui ne devait durer que 6 mois ne cesse d’être prolongée et le périmètre concerné s’est considérablement élargi, couvrant aujourd’hui une part importante de la commune. L’interdiction est également en vigueur dans d’autres communes bruxelloises. C’est par exemple le cas dans certains quartiers des communes de Saint-Gilles, Ixelles, Schaerbeek, Anderlecht ou encore Saint-Josse. Entre octobre 2024 et juillet 2025, par exemple, près de 600 procès-verbaux allant jusqu’à 500 euros ont été dressés par la police dans le cadre de cette interdiction.

Il se dessine ainsi un biais de classe sociale : en n’autorisant la consommation d’alcool que dans les établissements Horeca ou lors d’événements, la Ville de Bruxelles exclut de fait les personnes qui n’ont pas les moyens d’y consommer. Hormis les personnes qui consommeraient de l’alcool sur la voie publique par « choix », ce sont principalement les publics précarisés et en particulier les personnes sans-abris qui sont visées.

Une opposition claire est alors constatée : tout en interdisant la consommation d’alcool sur la voie publique, la Ville de Bruxelles en promeut la consommation par la forte présence de bars où il est possible d’en consommer. De plus, certaines associations comme le collectif « Free 54″* dénoncent les dynamiques d’élargissement des terrasses dans le centre de Bruxelles, poussant à une privation progressive d’espaces qui étaient autrefois publics.

Une telle mesure n’a, en réalité, rien de social. En prétendant vouloir lutter contre la « violence liée à la consommation d’alcool sur la voie publique », la Ville de Bruxelles ne fait qu’exclure les personnes précaires et sans abri qui consomment de l’alcool dans la rue. Car, en vérité, la violence associée à la consommation d’alcool n’est pas moins présente lorsqu’elle se déroule sur la terrasse d’un café ou dans un bar.

Ainsi, cette interdiction apparaît dans la continuité claire des dynamiques de gentrification et de touristification* du centre-ville de Bruxelles. Après avoir mis en place le piétonnier, qui a fortement impacté la vie des commerces du centre-ville, il est désormais question « d’assainir » la voie publique par le biais du contrôle policier. Cette façon d’ôter la voie publique des consommateurs d’alcool ne pouvant pas se payer une bière en terrasse ou simplement, n’ayant pas accès à un logement apparaît comme une manière de cacher l’incachable.

Il y a donc une forme de prise de contrôle territorial sans remise en question des structures sociales qui régissent la consommation d’alcool. La consommation régulière d’une drogue aussi forte que l’alcool est répandue dans l’ensemble des classes sociales, mais n’est pas accessible à toutes et tous de la même manière. Pendant que certain·es en consomment chez elleux, d’autres le font dans l’Horeca, et d’autres encore le font dans la rue.

En interdisant sa consommation sur la voie publique, la Ville de Bruxelles s’assure uniquement que les personnes qui en boivent et qui n’auraient pas les moyens de payer leur consommation dans l’Horeca se cachent ou quittent cette zone géographique. Il n’y a alors aucune prise en charge des personnes précarisées et sujettes aux questions d’alcoolisme, uniquement un rejet d’autant plus marquant.

Légende :

  • Touristification : Processus de valorisation de certains espaces aux yeux de touristes internationaux. Ce terme peut être associé à celui de « gentrification » dans le cadre d’une critique des effets du tourisme sur l’augmentation des loyers dans un quartier à haute valeur touristique par exemple.
  • Collectif free 54 : Né en 2015, le collectif Free 54 défend un espace public accessible et vivant, conçu pour celles et ceux qui l’habitent, en opposition aux usages marchands, à la privatisation et à la touristification.

Sources :